Les rares comptines de Janáček, le Monde lointain chanté par le violoncelle de Dutilleux, les Sea Pictures de Elgar, les quintettes de Granados ou Turina, d'autres encore, voilà des nouveautés qui sortent de l'ordinaire.

Říkadla, ce sont des comptines, c’est également le titre de l’œuvre majeure présentée par le Collegium Vocale Gent dans ce nouvel album qui comporte bien d’autres splendeurs négligées de Janáček, pour petit ensemble vocal et/ou petit ensemble instrumental : le Concertino pour piano et ensemble de chambre, 1.X.1905 - une pièce socialement engagée qui évoque un épisode de l'insurrection tchèque contre l'hégémonie germanisante de l'empire austro-hongrois. Janáček négligé, qui mérite tout autant d'être écouté que ses plus célèbres œuvres. Tout aussi négligée est la musique de chambre de Granados et Turina, dont on semble ignorer qu'ils ont également excellé dans ce genre. Les deux compositeurs ont livré à la postérité chacun un quintette avec piano, l’un en 1897, l’autre en 1907, tous deux surtout à la suite d’un très formateur séjour à Paris. Chose très remarquable, aucun de ces deux ouvrages ne fait dans l’hispanisme musical ; Saint-Saëns, Fauré, Franck, Ravel même pour Turina, voilà les influences évidentes, même si une certaine ampleur d’écriture brahmsienne se laisse entendre de temps à autres. Voilà deux chefs-d’œuvre inhabituels, à ne pas manquer.

C'est sur une magnifique copie d'un clavecin sévillan de 1734 que le claveciniste espagnol Diego Ares nous propose de découvrir - c'est vraiment le terme ! - plusieurs sonates récemment redécouvertes de Soler, des œuvres dont on ignorait l'existence pour la plupart d'entre elles : le manuscrit a magiquement refait surface voici peu et pof !, les qobuzonautes peuvent déjà écouter cette musique si longtemps tue. Sachant que le dernier recueil que Ares a consacré à Soler lui a valu un Diapason d'Or, l'on imagine les merveilles de sonorité qu'il a su déployer dans son nouvel opus discographique. Et toujours dans le domaine des œuvres moins courues, pourquoi pas se pencher sur le répertoire sacré de Vivaldi ? Voici deux motets et ces trois psaumes du prêtre roux ; soit dit en passant, si l’on veut bien faire abstraction des textes et des alléluias finaux, ces arias et récitatifs pourraient tout aussi bien figurer dans les plus flamboyants de ses opéras. On y retrouve tour à tour les vocalises virtuoses et les langoureuses mélopées des grandes héroïnes qu’il sut si bien mettre en musique. A la baguette Kevin Mallon, qui fut longtemps premier violon solo aux Arts Florissants et au Concert Spirituel, avant de s’installer à Toronto où il a fondé l’ensemble Aradia avec lequel il a naturellement réalisé le présent enregistrement.

Messe en si mineur, manuscrit autographe de Bach

C'est Tout un monde lointain plus près de nous que nous offre ensuite la violoncelliste Emmanuelle Bertrand ; outre le chef-d'œuvre concertant de Dutilleux, elle débute son nouveau CD avec la Sonate de Debussy - qui fut créée quelques mois après la naissance de Dutilleux, en 1916 ! - et, du même Dutilleux, les Strophes sur le nom de Sacher, encore un ouvrage créé par Rostopovitch, au même titre que le Monde lointain. Une autre voix de velours, presque de crooneuse, est celle de la mezzo-soprano anglaise Alice Coote qui nous offre sa lecture très personnelle des si superbes Sea Pictures d’Edward Elgar, cinq mélodies à caractère maritime de 1899 qui ne firent pas peu pour asseoir la renommée du compositeur. Même si ce sont plus particulièrement ses géniales marches de Pomp and Circumstance , également présentes sur ce nouvel enregistrement du Hallé Orchestra de Manchester, qui lui valurent la gloire définitive. Le grand répertoire anglais !

Refermons cette semaine de nouveautés avec un ouvrage qui n'a certes rien de nouveau, la Messe en si de Bach, tel qu'interprété par John Eliot Gardiner. Le chef britannique se limite ici à un orchestre de chambre (bien évidemment les English Baroque Soloists, fondés voici 37 ans par Gardiner !) légèrement fourni, un chœur (le Monteverdi Choir, même remarque…) de taille raisonnable, et surtout il offre une conduite des articulations, des phrasés, des lignes, d’une grande légèreté, presque comme une sorte d’opéra de chambre. Les tempi plutôt alertes, un jeu « à la baroque » mené à son apogée – parfait équilibre entre vérité historique et recherche de la beauté sonore, Gardiner n’a rien d’un dogmaticien – font de cet enregistrement un nouveau venu particulièrement bienvenu dans l’ample (et souvent si peu convaincante) discographie de cette Messe en si.