Et si la plus grande chanteuse du jazz cool, c’était elle ? Presque douze ans après sa disparition, Chris Connor reste l’une des voix les plus sensuelles de sa génération. Comme quoi, il n’y a pas qu’Anita O’Day et June Christy dans la vie…

Chanteuse de jazz. Une étiquette. Une AOP. Surtout un vaste fourre-tout dans lequel se carambolent les clichés les plus costauds : une belle gueule à l’extérieur, cabossée à l’intérieur, une lumière tamisée, des histoires de cœurs brisés, un bar enfumé et ainsi de suite jusqu’au bout de la nuitée. Chris Connor s’est évaporée dans les éthers de ces images d’Épinal. La chanteuse américaine, emportée par un cancer durant l’été 2009, à 80 ans passés, n’est plus que dans les radars, et surtout dans le cœur, de ceux qui ont un jour goûté à la beauté de son organe singulier qui mêlait luxe et brouillard. Restent heureusement des enregistrements pour se remémorer tout cela. Ou pour (re)découvrir l’une des plus attachantes chanteuses de jazz…

Dans la lignée des Anita O’Day, June Christy et autres Julie London, Chris Connor était une déesse du jazz cool. Comme les deux précitées, elle sévira au sein de l’orchestre du grand Stan Kenton et entamera sa vraie carrière solo dans la foulée, décrochant quelques tubes comme I Miss You So en 1956 et Trust In Me, l’année suivante. Avec le All About Ronnie de Joe Greene, elle marquera de sa voix sensuelle cette sublime ballade romantique pour Bethlehem Records. Avec le temps, ces beaux et limpides enregistrements des années 50 sentent justement bon les 50's : les albums Chris Connor, I Miss You So et He Loves Me, He Loves Me Not de 1956, Chris Connor Sings The George Gershwin Almanac of Song de 1957 et A Portrait of Chris de 1960 sont autant de séquences parfaites de “cool jazz” adossées contre des arrangements toujours millimétrés. Durant sa période Atlantic, Chris Connor travaillera justement avec les meilleurs arrangeurs, parmi lesquels Don Sebesky, Ralph Sharon, Ronnie Ball, Ralph Burns et Jimmy Jones, et les jazzmen les plus virtuoses mais surtout les plus classieux, comme John Lewis, Oscar Pettiford, Phil Woods, Kenny Burrell, Milt Hinton, Clark Terry ou encore Oliver Nelson.

A Chris Connor Recording Session June 2, 1992

Bob Kaye

Née Mary Loutsenhizer à Kansas City, au cœur de l’automne 1927, Chris Connor commença par étudier la clarinette durant huit ans avant d’opter pour le chant à l’adolescence. Celle qui passe son temps libre cloîtrée dans les cabines d’écoute des disquaires à déguster les enregistrements de Frank Sinatra, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan et – sa grande influence – Peggy Lee, déclarera que l’apprentissage de cette clarinette lui a permis de mieux contrôler sa respiration. Après ses débuts en public, au lycée de Jefferson City, en 1945, elle décide de se lancer dans une carrière de chanteuse professionnelle. Pour survivre entre ses cours de chant, elle fait du secrétariat dans la région de Kansas City avant de s’envoler enfin pour New York en 1949. C’est dans la Grosse Pomme qu’elle rencontre le chef d’orchestre Claude Thornhill, qui cherche alors une voix pour ses Snowflakes. Chris Connor part alors en tournée avec la formation jusqu’en 1952. Mais son rêve est d’intégrer la formation de Stan Kenton. Celui-ci l’entend à la radio en 1953 et l’engage comme remplaçante. La rudesse des tournées a raison d’elle et, cinq mois plus tard, Connor décide de quitter le navire Kenton pour voguer en solo. Bethlehem Records la signe et publie simultanément Chris Connor Sings Lullabys of Birdland et Chris Connor Sings Lullabys for Lovers. Le succès est au rendez-vous et le public suit cette voix qui monte. En 1956, Chris Connor est même la première chanteuse de jazz blanche à être signée par Atlantic. Une douzaine de disques paraîtront sur ce label. Mais en 1963, au moment de renouveler son contrat, elle préfère rejoindre FM, le petit label de son manager Monte Kay. Mauvaise pioche puisque FM dépose le bilan l’année suivante…

Une décision d’autant plus malheureuse que l’heure est alors à l’avènement du rock’n’roll aux quatre coins du monde. Un genre qui relègue des organes comme celui de Chris Connor aux oubliettes. Cette rude période s’étendra jusqu’au début des années 70… Comme souvent dans ce genre de situation, l’alcool devient le compagnon idéal. Lorsqu’elle tente un come-back la décennie suivante, Chris Connor offre une voix possédant toujours un réel charisme, même si l’étincelle de son âge d’or n’a plus la même brillance. Elle enregistrera sporadiquement pour diverses petites écuries jusqu’en 2003.

Même si Chris Connor reste la chanteuse de jazz cool par excellence, elle lâchera ça et là quelques moments ovnis, osés, pour ne pas dire improbables. Comme sur l’album Free Spirits de 1962, où elle chante le thème Lonely Woman d’Ornette Coleman pour lequel Margo Guryan a écrit de poignantes paroles. Ou encore deux ans plus tard, lors d’un week-end parisien durant lequel elle enregistre le bien nommé A Week-end in Paris avec l’orchestre de Michel Colombier ! Comme des épices pour pimenter un peu plus le parcours d’une chanteuse à la voix surnaturelle…