Avec ses 50 millions d’exemplaires, “Back in Black” est le deuxième album le plus vendu au monde, juste derrière “Thriller” de Michael Jackson ! Qui aurait imaginé que ce septième opus studio d’AC/DC arborerait un tel palmarès alors que son charismatique chanteur Bon Scott est mort prématurément après la sortie de “Highway to Hell”. La fin du tome 1 mais surtout le début du tome 2 dont les fans du gang australien continuent aujourd’hui à tourner les pages…

Le 19 février 1980, lorsque Bon Scott, ivre comme jamais, meurt étouffé dans son vomi, personne ne mise un kopeck sur une quelconque suite de l’aventure AC/DC, qui vient pourtant d’exploser tous les records avec le plus que parfait Highway to Hell. La bande d’Angus Young, le guitariste en culotte courte, trouvera pourtant la force d’embaucher un remplaçant, Brian Johnson, qui imposera assez rapidement son style puissant dans les aigus. Mieux : en deux mois seulement, ils emballent, dans une mythique pochette noire, l’acte de naissance d’un nouvel AC/DC, Back in Black, dépassant les canons du hard rock qui connaît son heure de gloire à l’aube des années 80 pour s’installer ad vitam æternam au sommet des charts à chaque nouvel album.

Back in Black

Les albums justement. Comme Angus Young n’a cessé de le répéter, AC/DC fait des albums, pas des singles. « Aucun de nos disques n’a été conçu autrement que comme une entité. » Au début de la musique dématérialisée, le groupe australien interdit d'ailleurs aux plateformes de téléchargement de vendre des morceaux à l'unité, obligeant les acheteurs à s’offrir leurs albums en entier ! Publié en juillet 1979, Highway to Hell symbolisait cette approche. Emmené par son single éponyme, il transforme ce groupe de hard rock pour mélomanes avertis en formation plus grand public, et ce sans avoir versé la moindre goutte d’eau dans sa formule de rock heavy infusé au blues des anciens (John Lee Hooker est l’idole ultime d’Angus). En janvier 1980, prêt à surfer sur ce succès et sans perdre une minute, Angus Young (guitare lead) et son frère Malcolm (guitare rythmique), Cliff Williams (basse), Phil Rudd (batterie) et Bon Scott (chant) s’installent à Londres avec le producteur de Highway to Hell, Mutt Lange, pour concocter une suite et tenter de réitérer leur exploit. Paroles, riffs, mélodies et solos déboulent à vitesse grand V lorsque ce fameux 19 février, Bon Scott fait la sortie de route ultime.

AC/DC - Hells Bells (Official Video)

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Un peu de flou et d’incertitude demeurent quant aux circonstances réelles de sa mort. L’histoire se souvient que le chanteur avait passé l’après-midi au studio Scorpio Sound dans le quartier de Camden à Londres avec les Français de Trust en vue de l’adaptation anglaise de leurs chansons. Dans la soirée, Scott s’est rendu avec un ami dans un pub avant de finir ivre dans la voiture de son camarade de beuverie qui, n’ayant pas réussi à le sortir du véhicule, préféra le laisser cuver toute la nuit. Le lendemain matin, par une température bien frisquette, Bon Scott est retrouvé inconscient, étouffé par son propre vomi, victime d’un coma éthylique et d’un arrêt cardiaque… Pour les membres d’un groupe en pleine ascension et sans le moindre nuage à l’horizon, le choc est total. Aîné de la bande, Bon Scott vivait certes une vie 100 % sexe, drogue et rock’n’roll mais pas au point qu’elle s’arrête aussi brutalement à 33 ans. Tout le monde se retrouve en Australie pour l’enterrement sans penser une seule seconde à la suite. Mais quelques semaines plus tard, Mutt Lange incite les frères Young à revenir à Londres pour jouer, jouer et encore jouer. Une approche thérapeutique qui portera ses fruits. De nouvelles chansons naissent sur les cendres du chagrin des frangins Young qui refusent d’utiliser les premiers textes qu’avait écrits leur ami défunt. « En jouant non-stop, on oubliait totalement la réalité », dira Malcolm alias le riffmaker. Reste à franchir la plus haute marche : trouver une nouvelle voix à AC/DC.

« Bon était un géant », rappelle encore aujourd’hui Angus Young. « Un type bigger than life… Les premières auditions se sont enchaînées mais on tirait la tronche, pas vraiment inspirés par ce qu’on entendait… » Le nom d’un certain Brian Johnson commence à tourner, lancé notamment par Mutt Lange. Un fan américain d’AC/DC a lui aussi envoyé une lettre au management en citant Johnson comme remplaçant idéal. Des années plus tôt, Bon Scott l’avait aussi remarqué, trouvant à sa voix des similitudes avec celle de Little Richards, dont il était fan. Né en 1947 dans la banlieue de Newcastle, Brian Johnson a enquillé les formations plus ou moins rock avant de faire parler de lui à la tête de Geordie, groupe vaguement hard que certains qualifient alors de sous-Slade et de sous-Sweet, les deux locomotives du glam qui règnent en Angleterre. « Une employée allemande d’un label m’a appelé », racontera plus tard le prétendant. « Sa première question était : quel âge avez-vous ? Rien d’autre ! Pourquoi vous me demandez ça ? Pour savoir si vous n’êtes pas trop vieux pour partir en tournée ! Elle m’a ensuite demandé de venir à Londres pour une audition secrète. Je n’allais pas me déplacer sans savoir. Bref, après avoir insisté, elle a lâché le morceau et m’a dit, texto : c’est une audition pour AC et DC. » Plus que motivé, Brian Johnson est au courant du buzz régnant autour du groupe australien, qui lui a déjà tapé dans l'œil. « La première fois que j’ai vu Angus en tenue d’écolier avec son sac à dos, c’était dans l’émission de la BBC Rock Goes to College et j’ai halluciné ! Jusqu’ici, je n’avais vu que des photos. Là, c’était dingue, pas kitsch ni débile du tout, au contraire. On avait vraiment l’impression de voir un diable de Tasmanie ! »

AC/DC - Back In Black (Capital Center, Landover MD, December 1981)

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Fin mars, l’audition a enfin lieu et Malcolm Young accueille Brian Johnson en studio en lui tendant une bouteille de Newcastle Brown Ale, la bière de la ville natale du chanteur qui propose de leur interpréter Nutbush City Limits de Tina Turner avant d’embrayer avec Whole Lotta Rosie. Une seconde audition suivra mais Angus Young est conquis. « Sa voix était parfaite car justement différente de celle de Bon. Brian a tout de suite imposé sa propre personnalité. » Six semaines après la tragédie, AC/DC annonce officiellement l’arrivée de son nouveau chanteur et s’envole avec le producteur Mutt Lange et l’ingénieur du son Tony Platt pour Nassau aux Bahamas, au Compass Point Studios, ouverts trois ans plus tôt par Chris Blackwell d'Island Records. Cadre paradisiaque, météo idyllique et satisfaction d’avoir trouvé le remplaçant idéal, toutes les conditions semblent réunies. Sauf que les tempêtes tropicales s’enchaînent, le matos arrive au compte-gouttes, l’hébergement est spartiate et une invasion de crabes vient même interrompre une séance ! La pression est évidemment immense sur Brian Johnson, qui sait que tous les projecteurs sont braqués sur lui. Il racontera plus tard des prises sans fin exigées par Lange qui vise des voix parfaites. Mais son entente avec ses nouveaux collègues est totale et il glisse aisément ses textes dans cet univers bien huilé depuis maintenant plusieurs années. Comme la tirade d’ouverture du fameux Hells Bells, inspirée par la météo chaotique du jour de l’enregistrement : « A rolling thunder, a pouring rain / I’m coming on like an hurricane. » Mais avant ces premières paroles, Back in Black entre déjà dans la légende du rock’n’roll grâce à sa cloche en fonte qui retentit quatre fois avant que la moindre note de guitare n’intervienne. L’hommage à Bon Scott est clair, net, précis et surtout grandiose. Comme la pochette toute noire du disque. Le groupe bataillera pour l’imposer auprès de son label qui ne l’estime pas assez visible en magasin. Un accord sera trouvé en apposant un léger liseré gris sur le contour du logo d’AC/DC. Après l’épisode Bahamas, Back in Black est mixé à l’Electric Lady, le studio monté par Jimi Hendrix en 1970, où Angus réenregistrera le solo de Shoot to Thrill.

En termes soniques, Back in Black ne dévie guère par rapport à son prédécesseur. A la guitare, les frères Young – Malcolm et sa Gretsch, Angus et son indéboulonnable Gibson SG – rivalisent de génie aussi bien dans l’efficacité des riffs basiques et épurés que dans les solos (notamment sur Back in Black et You Shook Me All Night Long), faisant du pur AC/DC quand il faut (What Do You Do for Money Honey) mais aussi du boogie graisseux tendance ZZ Top (Have a Drink on Me), du hard théâtral à la Led Zep (Shake a Leg) sans oublier l’allégeance de rigueur au Dieu blues (Rock and Roll Ain’t Noise Pollution). Cliff Williams et Phil Rudd finissent le travail en construisant le socle en béton armé d’une rythmique efficace, à défaut d’être d’une grande finesse… A la sortie de Back in Black le 25 juillet 1980, les fans s’étriperont, sans surprise, sur le cas Brian Johnson. Fallait-il continuer sans Bon Scott ? Le succès du disque et de la tournée mondiale qui suivra calmera vite un débat qui, quarante ans après, n’a plus lieu d’être.

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