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Maryla Jonas

Le destin de la pianiste Maryla Jonas (1911-1959), née Polonaise puis naturalisée États-Unienne, est à la fois tragique et splendide. Enfant-prodige – à qui Paderewski aurait conseillé « la patience ; dans quelques années elle peut très bien devenir une médiocrité comme tant d’autres prodiges » – (Paderewski avec qui elle aurait travaillé longtemps selon les uns, de manière très épisodique selon d’autres, la légende se brouille aisément dans son histoire), elle fit ses débuts à Varsovie à neuf ans – ou huit ou dix, légende, légende… –, puis remporta non pas le Premier Prix au Concours Chopin de Varsovie de 1932 (encore une légende, colportée d’un site d’Internet à l’autre) mais « seulement » le Treisième Prix, avant de remporter non pas un Grand Prix au Concours de Piano de Vienne de 1933 mais « seulement » une distinction, sans plus de précision. Pour mémoire, le Second Prix cette année avait échu à Lipatti. Jusqu’au début de la Guerre, elle fit des tournées à travers l’Europe – ou seulement à travers la Pologne, les observateurs se contredisent –, et ne fut pas même placée lors du Concours de Bruxelles cuvée 1938. Les détails semblent un peu moins vagues à partir de 1939 : après l’invasion nazie de la Pologne, et tandis que ses frères et son mari étaient partis dans la Résistance, elle fut arrêtée par la Gestapo dont, semble-t-il, un dignitaire mélomane se souvenait l’avoir entendue jouer en Allemagne. Par fraternité artistique, il lui aurait suggéré de s’installer en Allemagne pour y poursuivre une carrière, ce qu’elle semble avoir refusé ; il lui suggéra alors de se rendre à l’ambassade du Brésil à Berlin pour y tenter sa chance, et rejoindre sa sœur déjà installée à Rio de Janeiro.

Selon la légende, elle aurait parcouru le trajet de Varsovie à Berlin à pied, pendant « des semaines et des semaines » à en croire ses propres réminiscences, ce qui n’est pas forcément faux sachant qu’il fallait se traîner sur quelque cinq cent cinquante kilomètres dans des pays en guerre, et que sa santé était déjà chancelante. Arrivant à Berlin, elle put persuader l’ambassade brésilienne de lui établir de faux papiers – comme l’épouse du fils de l’ambassadeur ! (enfin… c’est ce qui se dit) – et finalement prendre un avion pour Lisbonne, d’où elle attrapa le premier vapeur à destination de Rio de Janeiro. On est alors vers la fin de 1939.

En arrivant, hélas, elle apprend que deux de ses frères et son mari ont été tués ; sa santé devient préoccupante, elle se traîne de sanatorium en sanatorium, et surtout, elle refuse de toucher un piano. Or, miracle – bien documenté, celui-là –, Artur Rubinstein est en tournée au Brésil en mai et juin 1940 ; il avait connu la pianiste à Varsovie, et se fait fort de la faire retourner au clavier. Il recourt (légende ? réalité) à un simple expédient : devant répéter lui-même au Théâtre de Rio pour son concert du soir, il lui demande de l’accompagner afin qu’elle l’aide à juger de l’acoustique ; se prétendant peu convaincu, il lui demande de jouer quelques mesures afin de s’en rendre compte par lui-même. En fait de quelques mesures, Maryla Jonas aurait encore été au piano alors que le public commençait à entrer dans la salle pour le concert de Rubinstein.

Semi-faux ou demi-vrai, il n’en reste pas moins que le 30 juin 1940, elle donnait un premier concert à Rio, suivis de nombre d’autres à travers l’Amérique du Sud, mais selon son imprésario brésilien, il lui fallait absolument se faire un nom aux États-Unis si elle voulait « faire carrière ». Qu’à cela ne tienne, Jonas et son imprésario organisèrent (et payèrent les frais…) d’un concert à Carnegie Hall en février 1946 ; il apparaît qu’à ce premier concert, la salle était quasiment vide, hormis d’un imprésario et de quelques critiques. Et là, miracle – documenté, lui aussi – : critique et imprésario furent enthousiasmés, en particulier par ses Mazurkas de Chopin, et la pianiste se vit immédiatement proposer un contrat assez mirobolant. La carrière états-unienne était enfin lancée, avec des concerts à Philadelphie, New York, Dallas, Chicago, et ses débuts avec le Philharmonique de New York dirigé par Artur Rodzinski. Le célèbre compositeur et critique (dont on connaît la dent particulièrement dure) Virgil Thomson écrivait que « la franchise est la qualité première de son jeu, qui l’élève au-dessus d’une simple compétence et la place parmi les grands » [Straightforwardness … is the quality of her work that lifts it above mere competence and puts it among that of the great], ou encore que « dans le style classique, en jouant Haendel ou Haydn ou Mozart ou Beethoven, la progression métrique de ses lectures est aussi implacable que celle de Landowska. Et quand elle joue les grands romantiques, comme Schubert et Chopin, son rubato, au sommet de sa liberté et de sa fantaisie, ne fait jamais oublier un seul instant que la liberté rythmique est un commentaire sur la mesure, pas une attaque contre la mesure. Seuls des musiciens de premier plan jouent de cette manière. [In the classic style, playing Handel and Haydn and Mozart and Beethoven, the metrical march of her readings is as relentless as Landowska’s. And when she plays the high Romantics, like Schubert and Chopin, her rubato, at the height of its freedom and fancy, never lets one forget for a moment that rhythmic freedom is a comment on measure, not a violation of it. Only first-class musicians ever work in this way.]

Hélas, sa vie chaotique, sans oublier une forte tendance au surpoids, lui valurent bien des soucis et dès la saison 1947, elle annulait autant qu’elle jouait, et en 1951, elle s’évanouit carrément sur scène ; 1956 devait être la dernière année de sa carrière, où la pianiste assez diminuée – sauf en tour de taille – souffrit de pertes de mémoire et d’une nervosité incompatible avec le stress d’une vie d’artiste. Jusqu’à sa disparition en 1959, elle ne fit plus aucune apparition publique…

On ne peut que regretter que sa discographie connue (car il se peut que tel ou tel concert, diffusé par la radio, ne refasse surface sous forme d’enregistrement privé découvert par hasard) ne couvre que trois heures et douze minutes ; beaucoup de Chopin – surtout les Mazurkas et autres pièces plus courtes, Jonas semblait être plus à l’aise dans la nouvelle que dans le roman –, les Scènes d’enfants de Schumann, un impromptu de Schubert, deux ou trois Romances sans paroles de Mendelssohn, quelques rares pièces isolées des uns et des autres, voilà tout. Mais une fois remastérisées, ces petites perles dévoilent une bien grande dame du piano. Détail final et amusant, elle utilisait toujours une chaise personnelle, genre chaise de cuisine banale, qu’elle promenait à travers le pays pour ses concerts, au grand étonnement des chauffeurs de taxi, directeurs de salle de concerts et porteurs de bagages. © SM/Qobuz

Discographie

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