Géant de la musique classique allemande, Wilhelm Backhaus (1884-1969) est souvent apparu comme un rigoriste dénué de fantaisie. Son immense legs discographique pour Decca, encore assez rare à l’époque, est réédité aujourd’hui dans d’excellentes conditions. Il permet de réévaluer à la hausse une réputation trop souvent injuste. Backhaus nous apparaît singulièrement plus moderne qu’autrefois grâce à son respect du texte et à ses interprétations sans esbroufe qui cernent au mieux les compositeurs, depuis le premier enregistrement jamais réalisé d’un concerto, celui de Grieg, sévèrement abrégé en 1909, jusqu’à son dernier concert quelques jours avant sa mort.

Né dans cette ville de grande culture qu’est Leipzig, Wilhelm Backhaus commence à y étudier le piano à la fin du XIXe siècle. Il a 11 ans lorsqu’il est présenté à Brahms, une rencontre qui ne semble pas avoir laissé de traces, même s’il deviendra plus tard un de ses meilleurs interprètes. Le jeune Backhaus travaille ensuite avec Eugen d’Albert, un des très grands pianistes de son temps. Elève de Franz Liszt, proche de Brahms, il est un interprète particulièrement inspiré de Beethoven et transmettra cette passion à Wilhelm Backhaus.

S’il joue en public dès l’âge de 8 ans, sa carrière au sens professionnel du terme commence véritablement en 1900, avec des concerts en Allemagne et, surtout, à Londres, une ville – et un pays – auxquels il restera lié par une fidélité réciproque. C’est là qu’il réalisera ses tout premiers enregistrements pour The Gramophone Company (HMV) et qu’il enregistrera ses disques les plus célèbres, après la Seconde Guerre mondiale, pour Decca, une autre célèbre compagnie discographique britannique.

Les années flamboyantes

L’image du vieil homme couvert de gloire et de cheveux blancs a totalement occulté l’époque lointaine du début du siècle dernier, celle d’un jeune homme ardent et virtuose qui possédait un répertoire gigantesque de plus de 300 pièces – parmi lesquelles il pouvait jouer au moins une douzaine de concertos. Bien sûr, Bach, Beethoven et Brahms, l’essentiel de ses programmes, figuraient déjà à son répertoire, mais le jeune homme jouait beaucoup de Chopin, Mendelssohn, Liszt et même Debussy. Sa technique sans faille est époustouflante, son jeu fluide et puissant est déjà admiré de tous, mais sa totale absence de romantisme et d’épanchement le fait passer dès ses débuts pour un pianiste impersonnel, froid et professoral. De par sa position historique, Backhaus est aussi un pionnier à une époque où tout restait à enregistrer. On lui doit, outre le premier enregistrement d’un concerto déjà cité, une des gravures les plus anciennes du Concerto de l’Empereur de Beethoven, réalisée à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur en 1927, et le premier enregistrement des Etudes de Chopin l’année suivante. Ses premiers disques, longtemps oubliés au profit des plus récents du temps de sa maturité artistique, sont actuellement disponibles sur le marché et constituent une documentation unique sur un parcours d’une rare cohérence.