Comment l'éclectique orchestre de Fribourg est-il devenu le meilleur ensemble sur instruments anciens ? En se choisissant ses chefs...

Apparu à la fin des années 1980, le Freiburger Barockorchester (FBO) s'est rapidement imposé comme le meilleur ensemble sur instruments anciens, avec cette particularité fondamentale de n'appartenir qu'à ses fondateurs, ses propres musiciens, et non d'être l'émanation de chefs d'orchestre, aussi prestigieux soient-ils, tels que Gustav Leonhardt, Nikolaus Harnoncourt, John Eliot Gardiner, Sigiswald Kuijken, Jos van Immerseel, William Christie...

L'ancien contre-ténor et aujourd'hui chef d'orchestre René Jacobs ne s'y est d'ailleurs pas trompé, car lorsqu'il joue et enregistre les répertoires des xviie et xviiie siècles, c'est l'une de ses deux formations préférées ! L'automne dernier, un formidable Don Giovanni, l'année dernière un premier Mozart avec La Clémence de Titus,ou encore l'Orphée et Eurydice de Gluck, Les Saisons de Haydn, Rinaldo d'Haendel - tant d'ouvrages lyriques qui marquent la collaboration exceptionnelle entre le chef et la formation. Mais l'orchestre n'a besoin d'aucun chef lorsqu'il décide d'enregistrer ses répertoires favoris. Un parcours sans faute qui le distingue nettement de ses concurrents, avec de remarquables enregistrements d'oeuvres symphoniques et concertantes de Mozart et Haydn, ainsi que des Concerti grossi op. 1 de Locatelli. Invité du dernier festival de l'Épau, on pouvait ainsi découvrir le Freiburger alternativement dirigé du pupitre de premier violon par ses deux directeurs artistiques, Petra Müllejans et Gottfried von der Goltz. Enfin, ultime particularité de l'ensemble, le mot baroque associé à son nom et qui aurait dû disparaître depuis belle lurette, l'orchestre abordant aussi bien le répertoire romantique que classique, et même contemporain - on se souvient d'un album intitulé « About Baroque » où le Freiburger avait enregistré des oeuvres écrites à son intention par cinq compositeurs européens, créées au festival de Lucerne, en 2005.

Constitué d'une trentaine de musiciens, l'ensemble a donné son premier concert en 1987, et lorsqu'il n'est pas dirigé par des chefs invités comme René Jacobs, Roy Goodman, ou Philippe Herreweghe..., les tournées sont menées en alternance par Petra et Gottfried. L'un est l'autre sont d'ailleurs complémentaires ; Gottfried, grand échalas, paraît toujours trop à l'étroit dans ses vêtements. Sourire aux lèvres, il déambule quelques minutes avant le concert dans l'immense ancien réfectoire qui tient lieu de loges pour l'orchestre. On l'imagine prêt à faire une blague, en éternel adolescent qu'il est - même son fils, qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau, et qui l'accompagne dans cette tournée française, paraît plus réservé. Petra, en apparence, est à l'opposé. Elle est calme, souriante. Pourtant, la tension monte avant l'entrée en scène. Il faut alors l'observer attentivement, dirigeant chaque pupitre de son instrument, dans la Symphonie n° 74 de Haydn. Pas un mouvement qui soit de trop, tout est vif et aussi alerte que son jeu sur l'instrument. L'après-midi, elle a au préalable vérifié l'emplacement de chacun : pas question qu'un des musiciens échappe à son regard ; elle doit tout voir, tout entendre. C'est ce qui frappe aussitôt dans le Freiburger : la cohésion de l'ensemble qui se marie si bien avec la musique interprétée. « Nous venons en fait tous du même endroit, confie Petra : l'école de musique de Fribourg. Ce sont Ulrike Kaufmann et Christian Gooses, les deux premiers altos de l'ensemble, qui ont eu l'idée de fonder l'orchestre, la nuit du nouvel an. Ils ont alors demandé à plusieurs étudiants de l'école s'ils voulaient se joindre à eux. Nous nous sommes retrouvés plusieurs week-ends de suite pour répéter différents programmes, cherchant le style le plus adapté à chaque pièce. Nous avons ainsi tâtonné pendant deux ans, avant d'oser nous produire sur une scène. On jouait devant des amis pour tester leur réaction. » La première fois publique se déroula à Berlin, durant les Journées Bach, en compagnie du Choeur Rias. « Ensuite, continue Petra, nous avons décidé de nous présenter à Hambourg, au concours Carl Philipp Emanuel Bach. C'est là que Gustav Leonhardt et sa femme ont pu nous entendre. Pas à pas, l'orchestre s'est fait connaître et, du coup, les musiciens ont pu se concentrer sur la musique, et non plus sur les tâches administratives... »

Que l'ensemble soit dirigé alternativement par deux musiciens du groupe gêne-t-il ? « Au contraire, assure Petra. Au début, chacun devait diriger l'orchestre. Ainsi, si nous avions cinq pièces lors d'un concert, cela voulait dire cinq chefs différents. Or, après plusieurs concerts, une majorité d'entre nous a décidé de ne pas poursuivre dans cette voie, préférant l'instrument seul. Au bout du compte, trois personnes sont restées : Gottfried, Thomas Hengelbrock [le premier à diriger le Freiburger, avant de le quitter en 1997] et moi, pour qui la direction d'orchestre ne posait pas de problème. Ce qui est formidable, c'est que lorsque nous jouons sous la direction de René Jacobs, d'Ivor Bolton ou de Trevor Pinnock, chacun nous apporte quelque chose de différent : c'est un échange basé sur une foule de suggestions et d'avis. » Tout compositeur joué par le Freiburger devient une oeuvre unique, un chef-d'oeuvre que l'ensemble s'approprie - qu'on écoute pour s'en convaincre leurs Concerti grossi op. 1de Locatelli, leurs deux Concertos pour violoncelle de Haydn, ou le nouvel album Mozart qu'ils consacrent au Concerto pour clarinette et au Concerto pour piano n° 27. On aura ainsi bien de la peine à savoir quel est leur musicien favori... En revanche, lorsque René Jacobs leur a demandé s'ils voulaient bien enregistrer Don Giovanni, ils ont répondu « Oui ! », en choeur.