L'Orchestre Philharmonique de Berlin n'a pas toujours porté ce glorieux nom. Il a même commencé sa carrière, en 1882, sous celui, assez peu prestigieux, de "Ancienne chapelle Bilse". Bilse ? Ancienne ? Chapelle ? Explication et précisions historiques.

En mars 1882, 54 musiciens de l’Orchestre Bilse de Berlin (Benjamin Bilse, 1816 – 1902), outrés des lamentables conditions dans lesquelles leur chef entendait les emmener en tournée à Varsovie, firent sécession et fondèrent un nouvel ensemble – L’Ancien Orchestre Bilse – à la tête duquel ils élurent Ludwig von Brenner (1833 – 1902). Ce nouvel Ancien Orchestre trouva rapidement sa place dans la vie musicale berlinoise, en particulier grâce à l’imprésario Hermann Wolff (1845 – 1902) qui sut trouver un grand nombre d’engagements prestigieux à cet excellent ensemble. Benjamin Bilse tenta bien de leur mettre des bâtons dans les roues, en faisant accroire que l’Ancien Orchestre Bilse se produisait sous le nom d’Orchestre Bilse mais d’article fielleux en droit de réponse, les musiciens eurent gain de cause.

Mais pourquoi, demanderez-vous fort judicieusement, vous entretenir de cet Ancien Orchestre Bilse ? Très simple : le 4 juin de cette même année 1882, l’orchestre – qui jouait jusque là dans des salles avec tables et chaises, comme un juke-box géant – s’installa dans une ancienne patinoire transformée en salle de concerts, avec fauteuils sans table ; la patinoire s’appellerait dorénavant…

La Philharmonie.

Article du 4 juin 1882 dans le Berliner Tageblatt : « La patinoire Skating Rink, qui dès l’automne ne doit plus servir qu’à un usage artistique et qui sera dûment remaniée à cet effet, perd son ancien nom assez peu musical et sera rebaptisée Philharmonie. Les Philharmoniker, comme s’appellera désormais l’Ancien Orchestre Bilse, y seront rattachés. » C’est là l’acte de baptême de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, les Berliner Philharmoniker.

Programme du premier concert de l’Ancien Orchestre Bilse après sa sécession, le 5 mai 1882 dans la salle de la Sing-Akademie : Beethoven, Les Ruines d’Athènes et la création de SchwestertreueFidélité sororale ») d’Arno Kleffel. Suit une courte tournée de l’orchestre à travers l’Allemagne du Nord (Magdebourg le 6 mai, Braunschweig le 7 en matinée, Schöningen le 7 au soir, Brème du 8 au 12), avant qu’il ne prenne ses quartiers d’été provisoires au Flora de Charlottenbourg à Berlin, un gigantesque établissement d’attractions avec palmeraie, zoo humain, tableaux vivants, et une salle de spectacles. Le concert du 5 août 1882, sous la direction de Brenner, comporte l’ouverture de Phèdre de Massenet de 1876 (musique contemporaine donc), une marche de Schubert orchestrée par Liszt, un extrait d’un quatuor de Beethoven joué par toutes les cordes, une Polonaise de Liszt – à la demande du public ! – orchestrée par Müller, entracte, la Première de Beethoven, entracte, Coriolan de Beethoven, le Quatrième concerto de Vieuxtemps et l’interlude de Lohengrin de Wagner. Ce programme est redonné tous les soirs jusqu’au 4 septembre. Le 12 août il sera couronné d’un brillant feu d’artifice tiré par célèbre funambule Blondin, celui-là même qui traversa plusieurs fois sur un fil les Chutes du Niagara : les yeux bandés, poussant une brouette, et même en transportant un réchaud sur lequel il se fit cuire une omelette à mi-chemin. L’affiche insiste bien sur cette attraction, tout aussi importante, semble-t-il, que le concert lui-même !

Premier programme du Philharmonique de Berlin sous ce nom, 17 octobre 1882 : Beethoven, ouverture Leonore III ; Tchaïkovski, andante d’un quatuor (joué par toutes les cordes) ; Non più mesta, variations pour violon de Paganini ; Ouverture des Maîtres chanteurs ; entracte ; Ouverture du Roi Manfred de Reinecke (création, musique contemporaine donc) ; Carnaval russe, fantaisie pour flûte et orchestre de Ciardi ; Nocturne de Chopin pour violoncelle et harpe ; Dvořák, Rapsodie slave n° 2 ; entracte ; Rossini, ouverture de Guillaume Tell ; Danse suédoise de Gouvy (création) ; Polonaise en mi de Liszt orchestrée par Müller. Un programme très éclectique, destiné à accompagner… le repas de Première qualité à 1,50 Mark : soupe, poisson ou légumes (!), rôti, compote, fromage ou entremets, bière locale pour 20 Pfennig. Pour son concert de baptême, le Philharmonique de Berlin a donc servi d’orchestre d’accompagnement à des agapes… Notez qu’il était quand même interdit de se servir des tables comme garde-robe, et que les portes restaient fermées pendant l’exécution des morceaux. Pour ne pas déranger la musique, ou les dîneurs ?

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