Le 18 septembre 2011, Antonio Lotti, Thomas Tallis et Gustav Mahler étaient au programme du Philharmonique de Berlin sous la direction de Simon Rattle, auquel se joignaient les Chœurs de la Radio de Berlin, de la Radio de Leipzig et le Chœur de Garçons de la cathédrale de Berlin. Le concert était diffusé en direct et en streaming de la Philharmonie, et il est désormais disponible aux abonnés dans les archives de la [Salle de concerts numérique->http://www.digitalconcerthall.com] : abonnez-vous !

L’aimable lecteur et fervent supporter de l'Orchestre Philharmonique de Berlin connaît sans doute tous les secrets de la Huitième symphonie de Gustav Mahler, dite Symphonie des mille, mais il est peut-être moins versé dans la musique ultra-polyphonique de la fin de la Renaissance et du début du baroque. Ultra-polyphonique, car les deux œuvres chorales a capella qui précèdent la Symphonie des mille dans le prochain concert de l’orchestre appartiennent à ce répertoire flamboyant où les compositeurs rivalisaient d’ingéniosité pour écrire des œuvres de plus en plus complexes et imbriquées.

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L’Italien Alessandro Striggio avait ébloui l’Angleterre en 1567 avec sa délirante Missa sopra Ecco si beato giorno pour quarante voix (et encore… le Gloria final est confié à 60 voix indépendantes !), Thomas Tallis (1505-1585) ne pouvait pas ne pas relever le défi : ce fut avec l’extraordinaire Spem in alium de 1572/73, pour quarante voix réelles. L’œuvre fut sans doute créée dans une immense salle de banquet octogonale, disposant de quatre balcons donnant sur le parterre, ce qui permettait de séparer spatialement les huit chœurs de chacun cinq voix, pour un effet sonore extravagant. Gageons que l’acoustique et la forme de la salle de la Philharmonie permettra à l’ample chorale rassemblée pour l’occasion (les Chœur de la Radio de Berlin, de la Radio de Leipzig, ainsi que le chœur de garçons de la cathédrale de Berlin, un monde fou) de restituer cette œuvre avec brio. Toutefois, la spatialisation originale n'est pas restituée : les chœurs sont tous sur scène.

Moins extravagant dans la forme contrapuntique, plus tardif d’un bon demi-siècle, le Crucifixus à 8 voix en ut mineur d’Antonio Lotti est une rareté. Lotti est né à Venise où il travaillera quasiment toute sa vie, hormis deux années à la cour de Dresde. Bach et Haendel possédaient des copies de ses œuvres, preuve qu’elles comptaient considérablement dans le corpus de l’époque. Le Crucifixus est également donné a capella.

Après ces mises en bouche et mises en voix, on retrouve la Symphonie des mille de Mahler. Le surnom fut donné par l’imprésario du compositeur qui savait compter, tout autant les gros sous que les musiciens. En effet, lors de la création, l’ensemble comptait 1029 exécutants. Dans la salle, Schönberg, Webern, Stokowski, Richard Strauss, Saint-Saëns, Thomas Mann et Clemenceau… ce fut un véritable triomphe, le dernier du malheureux Mahler qui devait s’éteindre huit mois plus tard.

Si vous aviez caressé l'idée d'assister à ce concert berlinois, il aurait été inutile de vous rendre à Berlin, le concert affichait archi-complet depuis bien longtemps – ainsi d’ailleurs que tous les concerts Mahler à venir. Par contre, il vous est toujours loisible de le déguster (ainsi que quelque 130 concerts depuis 2008) dans les archives du Digital Concert Hall. Imaginez… la Symphonie des mille dans votre fauteuil, au plus près de l’action grâce aux multiples caméras, en haute définition si vous êtes équipé… le rêve !  

C'est à l’occasion du premier anniversaire de la mort de Mahler que la Symphonie des mille fut créée le 12 septembre 1910 sous la direction du compositeur. Elle est entrée au répertoire de l'Orchestre Philharmonique de Berlin le 17 mai 1912, sous la direction de Wilhelm Mengelberg (1871-1951), puis Georg Göhler (1874-1954) pour les reprises du 18 et du 19. Après une représentation le 10 mars 1928 (direction Heinz Unger), l’ouvrage sera ignoré par l’orchestre pendant quasiment cinquante ans avant d’être enfin repris le 18 septembre 1975 par Seiji Ozawa. C’est la première fois que Simon Rattle aborde cet ouvrage avec le Philharmonique de Berlin. C’est au Grosses Schauspielhaus [ci-dessus], connu aussi sous le nom de Zirkus Schumann, qu'eut lieu cette première berlinoise. Construit en 1867, il fut démoli en 1988. Il avait une capacité de 5600 places.

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