La 7e édition du festival Musiques interdites se déroule jusqu’au 30 juin à Marseille, à l’église Saint-Cannat.

Après une première rencontre avec Karol Beffa qui a eu lieu le 1er juin, où le pianiste-compositeur a improvisé sur le film muet Journal d’une jeune fille perdue, et un concert autour d’œuvres lyriques victimes de la censure, on attend la clôture du festival par un « opéra de chambre », création de Karol Beffa sur le roman de Kafka Le château, le 30 juin.

Le fil rouge de cette 7e édition du festival Musiques interdites qui se déroule jusqu’au 30 juin à Marseille, à l’église Saint-Cannat. est la réhabilitation d’œuvres interdites, et plus largement le thème de la création dans des conditions d’oppression. Le dialogue de la musique avec la littérature (avec Kafka et Saint-Jean de la Croix), ou avec le cinéma (improvisation de Karol Beffa sur un film muet) décline ce thème bien au-delà de la musique.

Une double mission, selon le mot du directeur, préside au festival depuis sept ans. Réhabiliter les compositeurs et les œuvres interdites, d’une part. Cette année, la censure exercée par les systèmes totalitaires est au premier plan. Cela revient parfois à les sortir de l’oubli. L’œuvre d’Aldo Finzi a ainsi été donnée en première création en France. Il y a là un devoir de restituer au public un patrimoine essentiel. « Il y a un vrai travail à fournir, note le directeur, car le contexte de l'interdiction provoque une double peine : lorsqu'une œuvre a été censurée, il est difficile de la réinsérer ».

D’autres part, le festival apporte un vibrant témoignage de la victoire de la création, sur les dictatures, sur l’oppression politique ou la condamnation individuelle. La Nuit obscure de Karol Beffa, avec le récitant Charles Berling, oeuvre pour voix et orchestre composée sur des poèmes de Saint Jean de la Croix, en est emblématique. Une musique en « clair-obscur », souligne Beffa, retrace l’itinéraire mystique du grand poète espagnol, et montre comment, au cœur même du dénuement, peut surgir une œuvre stupéfiante de beauté. Les ressources de la création ne montrent jamais autant leurs forces que dans l’anéantissement. Ainsi, une programmation de créations contemporaines fait écho et amplifie ces « renaissances », l’improvisation étant, par excellence, est une manière de « rendre vivant », de rendre contemporaine une œuvre du passé, comme le Journal d’une jeune fille perdue, film qui donne à voir la violence des relations humaines dans l’Allemagne des années 1920, à travers le destin de l'héroïne, brisé par une société mensongère.

Karol Beffa alterne tout au long du festival improvisation et composition, pour piano seul, voix et orchestre, ou encore dans un véritable petit opéra adapté du Château, la partie musicale lui ayant été confié par le librettiste Laurent Festas. La mise en scène incluant également l’œuvre d’un plasticien qui investira l’espace de l’église.

Le professeur de musicologie, qui multiplie les casquettes, musicales ou autres, est la figure de cette septième édition. Entré au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris à 14 ans, il y obtient huit premiers prix, en même temps qu’il est reçu premier à l’Ecole Normale Supérieure de lettres, puis à l’agrégation de musique. Pianiste, Karol Beffa se produit en soliste avec orchestre ; compositeur, ses œuvres sont jouées dans le monde entier. Il a récemment été nommé aux Victoires de la musique classique 2012.

Cette rare polyvalence le place idéalement pour trouver une musique qui s’accorde à l’angoisse kafkaïenne, au climat absurde du Château. « Lorsque Laurent Festas m’a sollicité pour écrire la partition du Château, explique-t-il à propos de son travail, il m’a dit qu’il avait aussi bien en tête les climats crépusculaires de ma musique de chambre et d’orchestre, ses saveurs « Mitteleuropa » et la mobilité stylistique dont je fais preuve quand je dois faire un accompagnement improvisé de cinéma muet. Je n’ai encore jamais écrit d’opéra à proprement parler, mais j’ai une certaine expérience des formes longues, ayant notamment composé la musique du ballet Horizons, avec l’Orchestre de l’Opéra de Lyon en 2002, celle de l’Oratorio Marie- Madeleine, sous-titré « Légende dramatique » en 2005, et ayant mis en chantier le ballet Corps et Ames, avec la compagnie Julien Lestel créé en 2011. Pour Le Château, je travaille sur des oppositions entre plages contemplatives — aux harmonies parfois vénéneuses, aux lignes mélodiques tortueuses — et tableaux plus corrosifs, dans un registre absurdo-comique où le burlesque rejoint la démence. Le passage de l’un à l’autre s’effectue tantot par cassures nettes, tantot par transitions progressives. En plus de la flûte et du trio à cordes, la présence d’un piano permet de rythmer et de ponctuer le déroulement narratif (par une utilisation percussive de l’instrument), comme elle contribue à enrichir l’harmonie qu’installe le trio vocal, aux tessitures équilibrées. Enfin, le chœur ou un grand orgue est bienvenu pour donner des effets de relief et de profondeur ».

Les tribulations du personnage principal, « K. », plongeront le spectateur dans la confusion d’un univers où les évènements se dérobent à notre compréhension et où règne un sentiment d’étrangeté diffus. Le « château », symbole d’une bureaucratie impénétrable qui finit par laisser « K. » impuissant et résigné, pourra évoquer les totalitarismes et leur rapport à l'art, dans ce concert de clôture. L’installation plastique réalisée par Philippe Adrien, les danseurs, chanteurs et instrumentistes solistes de l’Opéra de Marseille, accompagneront l’œuvre.

Pour l’édition suivante, le festival prévoit d’élargir le répertoire musical, avec du jazz interdit en Afrique du sud notamment.

Un entretien avec le directeur artistique Michel Pastore.

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