Les compositions les plus courues de Roussel, Le Festin de l'araignée ou Bacchus et Ariane ont mis dans l'ombre, Evocations, chef-d'œuvre absolu du compositeur français, sensationnelle corbeille de senteurs et parfums rapportées d’Inde et des contrées environnantes. En 1978, Zdenek Kosler, dans cette œuvre irrésistible, offrit aux mélomanes l’un des témoignages les plus accomplis de la discographie des œuvres de Roussel.

Composé entre 1910 et 1911, Evocations, triptyque symphonique pour soprano, ténor et basse est l’une des premières partitions d’Albert Roussel, qui parallèlement travaillait déjà à son ballet Le Festin de l’Araignée. Evocations est une partition majeure du début du XXe siècle, par son orchestration prodigieuse, pour son architecture suprêmement équilibrée et sa richesse de couleurs, ce que grand nombre de compositeurs de musiques de films d’Hollywood ou autres contrées retiendront certainement. « La partie introductive Les dieux dans l’ombre des cavernes donne une forme aux impressions verbalement inexprimables ressenties par l’Européen à la vue des bizarres statues des divinités hindouistes dans les temples indochinois creusés dans le roc, dans le cas présent la statue du dieu Çiva dans la grotte d’Ellora. Cependant, la musique dépeint aussi le jeu des rayons de soleil pénétrant à travers la végétation tropicale et graduellement elle parvient jusqu’aux registres d’une griserie des sens avec des accents érotiques, comme il est de coutume dans les cultes religieux orientaux. La seconde partie, une sorte de scherzo au caractère dionysiaque irrésistible – un prodige de raffinement orchestral – dépeint les ruines de la vieille ville cambodgienne de Djepour. La première partie de ce second mouvement intitulé La Ville rose est une formidable palette bariolée d’effets instrumentaux présentant un film d’ambiance et de d’images de genres en modification constante qui, sur un plan général, caractérisent les scènes de la ville exotique à la lueur de soleil couchant, tandis que la partie centrale évoque par son rythme exotique des danses mystiques lascives. La troisième partie met en musique un texte de Michel-Dimitri Calvocoressi, qui parle de la beauté et de la force vivifiante de la nature et s’adresse au fleuve sacré qui coule près du temple de la ville sainte, aux fleurs de lotus et aux amants errant dans les fourrés avec dans le cœur l’immense douceur de l’amour. Le coloris oriental ici s’intensifie encore plus grâce aux intonations des chants religieux ainsi qu’aux fort accents rythmiques et instrumentaux. » (Extrait du livret Supraphon, SU 11 1985 – 2 11, © 1994). A la fin des années 1970, le chef d’orchestre Zdenek Kosler, défenseur infatigable du répertoire lyrique de son pays, grave ces Évocations de Roussel pour le label national Supraphon. Chose curieuse sans doute que des Tchèques s’attaquent à une musique intensément française, propriété presque exclusive de la tradition d’interprétation française, qui nous a donné avec des chefs comme Munch, Martinon, Ansermet et quelques autres de grands témoignages dans ce répertoire. On oublie alors que les musiciens tchèques furent toujours passionnés par la musique moderne de notre pays, et Karel Ancerl donna plusieurs fois La Mer en concert. De même, Praga publia il y a quelques années une très belle interprétation de la Première suite de Bacchus et Ariane par Ancerl et la Philharmonie tchèque, belle, sauvage, saisissant au plus près l’esprit brut du compositeur français, style que l’on retrouve dans la gravure de Kosler. La Philharmonie tchèque est idéale dans cette musique. La richesse des timbres, très typés, le tranchant des attaques, la souplesse des pupitres … y avait-t-il en dehors de l’Orchestre National de l’O.R.T.F un orchestre capable dans ces années là de traduire aussi fidèlement le style flamboyant de Roussel ? Un enregistrement superbe, qui restera parmi vos favoris sans doute pour longtemps…

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