Il y a bientôt dix ans, le 19 février 2011, disparaissait Charles Trenet. Cet anniversaire semble bien mal barré du point de vue de son legs discographique. Ce géant incontestable de la chanson et de la culture française, cet artiste immense n'a pour l'heure fait l'objet d'aucun travail sérieux dans le domaine de la musique en ligne. Réflexions.

Rendre hommage à Charles Trenet à l’occasion du dixième anniversaire de sa disparition est une tâche bien rude pour un site de musique en ligne légal, si l’on souhaite du moins dépasser les compilations médiocres de l’artiste, qui foisonnent d’autant mieux qu’une grande partie de son legs discographique est aujourd’hui tombé dans le domaine public.

On aurait espéré qu’à l’occasion de cet anniversaire les uns et les autres aient fait un peu d’ordre dans la maison, et valorisé chacun son actif. Il n’en est rien. C’est l’occasion de toucher du doigt la grande misère de l’offre légale, quoiqu’on en dise, dès lors que les jeunes générations voudraient avancer dans la découverte d’un artiste de manière un peu raisonnée.

Chercher du Trenet, vouloir comprendre son histoire et tenter de s’y retrouver dans sa discographie — dans les années, dans les logiques d’albums —, relève de l’impossible pour le néophyte. Les maisons de disques mettent une passion peu commune à tout mélanger dans des compilations indéchiffrables et cassent de la sorte la perception qu’on voudrait avoir du déroulement d’une carrière, d’une inspiration, d’un artiste.

Même la logique d’intégrale raisonnée, dont on est bien loin ici, pose d’ailleurs problème dans le travail de Daniel Nevers publié par un éditeur d’enregistrements du domaine public : la juxtaposition d’enregistrements publics et de radio, pour passionnante qu’elle soit, déstructure une vision de la discographie que l’on aimerait clairement établie : l’enregistrement dans un but commercial sous forme de disque a sa propre valeur, le live en a une autre. Le numérique, en permettant des tris et de multiples classements – pourrait remédier à cette pagaille, mais l’éditeur en question n’a pas encore informatisé sa caisse enregistreuse. Par patrimoine sonore, il entend le sien d’abord.

La période Pathé est abandonnée par EMI aux bons soins de ce publicateur, qui vend prétentieusement et fort cher le travail de Nevers et pense avoir tout compris à la fois de l’avenir et du passé de la musique en interdisant à un site français tel que Qobuz de vendre en ligne le contenu de ses boîtes en plastiques. Ce grand humaniste de souk réserve son nectar à des plateformes américaines telle que iTunes ou Amazon, où il les vend à 19,99 euro, nus, sans livret numérique, ce qui prive cette publication d’une très grande partie de son intérêt et de la compréhension qu’on peut en avoir — c’est exactement ce qu’il souhaite sottement, d’ailleurs, pensant de la sorte favoriser la vente de ses CD. Et ce pourvoyeur de Michel Onfray pour les nuls en livre audio se présente comme une vigie du patrimoine sonore, tenant de « Notre mémoire collective » ! On croit rêver.

On lui souhaite de se faire pirater au maximum. Les métadonnées qu’il livre à iTunes sont bien entendues pourries et minimalistes comme en témoignent les captures d’écran ci-dessous, qui ne permettent pas de retrouver les dates de publication des œuvres malgré la qualité du travail éditorial dont se targue cet « éditeur ». Avec une si pauvre information, on est bien avancé quand on se fait vendre par iTunes un produit à 19,90 € dans un son compressé et sans livret. Vive la culture française !