En 1963, le grand pianiste espagnol Gonzalo Soriano prenait les chemins des studios pour graver avec Rafael Frühbeck de Burgos sa seconde version des Nuits dans les Jardins d'Espagne de Falla. Une vision noble, intense et colorée, magnifiée par les couleurs épicées de la Societé des Concerts du Conservatoire.

En France, dans les années 1950 et au début des années 1960, la musique de Falla fut l’une des grandes passions des maisons d'enregistrement, point culminant de décennies de relations et d’échanges artistiques privilégiés entre l’Espagne et la France. A cet égard, la maison Emi fut l’un des porte-flambeaux de la défense de Falla. Un superbe coffret paru il y a quelques années, Les introuvables de Manuel de Falla, en témoignait. Il regroupait les grandes références historiques de l’interprétation de la musique du compositeur espagnol : L’Amour sorcier, avec Ana Maria Iriarte et l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire sous la direction de l’extraordinaire Ataulfo Argenta, Le Tricorne par Eduardo Toldra et l’Orchestre National de la R.T.F, les pièces pour piano de Leopoldo Querol, La Vie brève par Ernest Halffter et Victoria de Los Angeles, etc. Un ensemble malheureusement indisponible encore en numérique, qui s'attachait aux grandes références des années cinquante. Emi continua cependant son exploration durant les années soixante, avec le chef d’orchestre Rafael Frühbeck de Burgos et le pianiste Gonzalo Soriano notamment. En 1963, ces deux artistes se réunirent pour enregistrer les Nuits dans les Jardins d’Espagne. Le pianiste espagnol en avait gravé une première version en Espagne, avec Ataulfo Argenta et l’Orchestre National d’Espagne, gravure totalement disparue de la circulation comme toutes les réalisations espagnoles d’Argenta – les bandes ne sont ni en la possession de Decca ni d’Emi. Cette seconde version de Gonzalo Soriano fascine par sa poésie lyrique intemporelle et ses équilibres sonores, suprêmes. Rafael Frühbeck de Burgos exploite chaque recoin de la partie orchestrale pour recréer une partition aux mille parfums entêtants – le moment où les cordes dialoguent avec un piano en irisations complètes (Au Generalife, 5’50) demeure d’une poésie étreignante. Le chef espagnol situe très clairement l’œuvre dans l’héritage de Debussy, et d’une manière cependant plus assumée et authentique que dans sa version du Tricorne (Philharmonia Orchestra, 1963) par exemple, qui, elle, pâtit d’un orchestre lourd, voire pataud, encore peu habitué aux attaques franches que nécessite la musique espagnole. Alors que certains chefs, tels Ataulfo Argenta et Ernest Ansermet exploitent avant tout la veine dramatique ou la modernité exacerbée et flamboyante de la musique de Falla, Rafael Frühbeck de Burgos en a toujours prôné une vision incroyablement symphonique qui trouve ici avec l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire son réel accomplissement : les timbres plus caméléons, plus épicés et plus crus (les cuivres !) de l’orchestre français le permettent. La musicalité de Gonzalo Soriano est, elle, confondante. La beauté des phrasés, la science de la densité harmonique éblouissent. En outre, Soriano semblait concentrer sous ses dix doigts le Soleil aveuglant qui illumine les campagnes espagnoles. Le miracle d’un dosage unique dans le toucher, à la fois plein, dense, et très articulé, parfois très franc, sec – mais jamais dur. Écoutez cette version, et vous rêverez sans aucun doute d’Espagne, et de sa culture enchanteresse… Ce même album regroupe la version des Quatre Pièces espagnoles par Soriano, tout aussi exceptionnelle, l’enregistrement «le plus pénétrant» de ce recueil (la Montanesa !), selon Jean-Charles Hoffelé (dans son Manuel de Falla chez Fayard).

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