Avant de commencer cette nouvelle année sous l’étendard de Verdi, Wagner, Britten et Poulenc, jetons un regard rétrospectif sur l’Année Debussy qui vient juste de se terminer. Elle avait fort bien commencé par une superbe exposition au Musée de l’Orangerie à Paris. Rarement les rapports entre la musique et les autres arts étaient aussi bien évoqués. Des toiles de Bonnard, des superbes Vuillard, des meubles, des partitions reconstituaient cet univers particulier du début du XXème siècle où les arts et les artistes savaient si bien se mêler. Pour nous autres mélomanes discophiles, cette année a vu quelques nouvelles publications et de notables rééditions. Debussy a de la chance au disque. Il y aujourd’hui pléthore de Pelléas, d’œuvres pour piano, d’anthologies pour orchestre, de musique de chambre, de mélodies.

Côté piano il faut souligner le travail exceptionnel de plusieurs pianistes français. Jean-Efflam Bavouzet dont l’intégrale parue chez CHANDOS est un grand moment de debussysme. Philippe Cassard qui n’a pas ménagé sa peine pour un de ses compositeurs préférés en donnant l’intégrale des œuvres pour piano dans quatre villes européennes (4 concerts en un seul jour) à : Liège, Lille, Toulouse et Paris. Ses publications discographiques ont marqué elles-aussi l’année Debussy. Il y a bien sûr le premier disque de Natalie Dessay en récital avec des mélodies de jeunesse inédites retrouvées par Philippe Cassard et, avec ce dernier toujours, l’enregistrement d’œuvres pour 2 pianos et à 4 mains avec son compère et ami François Chaplin qui est particulièrement réussi. Le duo fonctionne à merveille ce qui n’est pas très étonnant de la part de deux artistes aussi sensibles qui ont chacun enregistré une belle intégrale de l’œuvre pour piano de Debussy. Cassard pour UNIVERSAL et Chaplin pour ARION, cette dernière n’étant actuellement pas disponible dans sa version numérique. Philippe Bianconi a lui aussi apporté sa pierre à l’édifice en enregistrant les deux Livres des Préludes pour LA DOLCE VOLTA. D’autres versions mythiques d’œuvres pour piano restent au catalogue, citons Arturo Benedetti-Michelangeli, Samson François, Walter Gieseking, Claudio Arrau ou Aldo Ciccolini.

Pour les œuvres orchestrales la bonne surprise nous vient du Royaume-Uni avec ce très bel album de l’Orchestre Royal National d’Ecosse sous la direction du chef français Stéphane Denève. On y trouve une anthologie d’une facture exceptionnelle avec une version de Jeux, chef-d’œuvre ultime de Debussy, d’un extrême raffinement. En France Jun Märkl a terminé son intégrale avec l’Orchestre National de Lyon pour NAXOS. S’il parvient à exalter toute la qualité des timbres de l'ensemble lyonnais, Märkl ne laisse pas un souvenir impérissable. Sa vision de Debussy reste décorative et de bon goût, mais sans grande envergure. De nombreux chefs se sont illustrés dans cet ensorcelant univers. N’oublions pas les meilleurs interprètes qui sont disponibles aujourd’hui en publication numérique dans leur version originale ou en réédition : Charles Munch, Ernest Ansermet, Pierre Boulez, Jean Martinon, Bernard Haitink ou encore Manuel Rosenthal. Il y aussi des enregistrements isolés qu’il faut absolument connaître, tel celui de Claudio Abbado qui laisse une inoubliable version de La Mer en concert, avec ce fabuleux Orchestre du Festival de Lucerne formé par des musiciens venus des meilleurs orchestre de la planète.

Pelléas et Mélisande ont de la chance eux aussi. L’histoire du disque les a à jamais réunis grâce à d’excellentes réalisations. Tout est parti de l’enregistrement historique de 1941, réalisé en pleine Occupation par Irène Joachim, Jacques Jansen et Roger Désormière qui reste aujourd’hui encore une référence incontournable en dépit d’une prise de son très datée et d’un art du chant qui ne l’est pas moins. Puis il y eut les deux versions de studio dirigées par un orfèvre en la matière, Ernest Ansermet. La première avec une radieuse Suzanne Danco et le Pelléas naïf et bien chanté du baryton Pierre Mollet, la seconde avec Erna Spoorenberg et le timbre idéal de Camille Maurane. Karajan nous laisse un disque où le rôle principal est tenu par un Orchestre Philharmonique de Berlin d’une incroyable élégance. Boulez a signé une belle version entachée toutefois par certains chanteurs. Une des plus grandes réussites reste à mon sens celle d’Armin Jordan qui adorait cette oeuvre, enregistrée à Monte-Carlo avec des chanteurs francophones et un orchestre fluide et transparent.

Le corpus des mélodies avec piano est lui aussi bien représenté, mais plus disparate, car on le trouve souvent disséminé dans des récitals de Mélodies françaises ou dans des anthologies avec divers interprètes pas toujours au même diapason. Quelques grands noms sont toutefois à citer à commencer par Suzanne Danco, Hugues Cuenod, Gérard Souzay, Bernard Kruysen et, de nos jours, Sandrine Piau, Natalie Dessay déjà nommée ou Véronique Gens. La musique de chambre n’est pas en reste. Le Quartetto Italiano reste une des valeurs absolues de même que la version récente des 3 Sonates avec des musiciens venus du nord autour du pianiste Per Salo. Le Quatuor Brodsky a enregistré récemment une lumineuse version du Quatuor couplée avec une oeuvre rare, le Trio avec piano très bien défendu par Jean Efflam Bavouzet avec Daniel Rowland au violon et Jacqueline Thomas au violoncelle. Le pianiste français met ainsi un brillant point final à sa belle intégrale.

Il y a de quoi être réjoui autant que décontenancé devant un tel choix. Le goût et la recherche personnelle feront le reste, d’autant que fouiller sur le site de Qobuz pour dénicher la perle rare est assez excitant, c’est une façon de se rendre dans un magasin de disque hypothétique qui posséderait presque tout…