Considéré comme l’un des plus grands barytons de tous les temps, Dietrich Fischer-Dieskau s’est éteint à l’âge de 86 ans.

Dietrich Fischer-Dieskau est décédé le 18 mai à Starnberg à l’âge de 86 ans. Sans doute l'un des plus grands interprètes de la musique vocale de tous les temps, celui qui conjugua excellence et éclectisme impressionna par la durée de sa carrière, la quantité phénoménale d’œuvres enregistrées mais aussi la diversité des répertoires abordés. « Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le public allait aux récitals de Fischer-Dieskau pour prier et pleurer. » Cette remarque de la grande mezzo-soprano Christa Ludwig n’est pas un simple joli mot. Ce témoignage éclaire la dimension que l'histoire de l'Allemagne a conférée à ce jeune chanteur au sortir de la guerre…

Né Albert Dietrich Fischer von Dieskau le 28 mai 1925 à Berlin, Dietrich Fischer-Dieskau est le fils d’un pasteur et proviseur, fasciné très jeune par les textes de Goethe et Schiller qu'il déclame, selon la légende, dans la cour de l'école... A 9 ans, il entame des études de musique, avec sa mère. La musique était en fait une tradition familiale ancienne, en 1742 un certain Carl Heinrich von Dieskau ayant été le commanditaire de la cantate burlesque dite Cantate des paysans (Mer hahn en neue Oberkeet) de Jean-Sébastien Bach…

De formation humaniste, Dietrich Fischer-Dieskau est enrôlé dans l'armée allemande. Emprisonné en Italie durant la Seconde Guerre mondiale, il fait ses premières armes musicales une partition de Brahms en mains, des soldats en guise de public… Dès 1942, Georg Walter, son professeur, détecte des compétences hors du commun. L'élève Fischer-Dieskau entreprend de déchiffrer les cantates de Bach au piano puis commence l'étude de lieder. Ses capacités vocales naturelles l'amènent à développer un registre de baryton lyrique capable des nuances les plus douces, malgré une attirance première pour les rôles de ténor héroïque. En 1942, il donne son premier concert avec le Voyage d'hiver (Winterreise) de Schubert.

Ses premiers enregistrements sont Schwanengesang et Winterreise de Schubert pour le RIAS de Berlin cinq ans plus tard, alors qu'il est encore inscrit comme élève du professeur Hermann Weissenborn au conservatoire de Berlin. S'ensuivit un début de carrière à la radio et à l'opéra, sur les scènes de Munich et de Vienne, où son physique lui permet d'aborder le rôle du Marquis de Posa dans Don Carlo de Verdi.

Sa carrière prit son essor lorsqu'il rencontra Wilhelm Furtwängler en 1950 lors du Festival de Salzbourg : le célèbre maestro l'auditionna et fut subjugué par ce jeune baryton ovni. Ils donnèrent ensemble, durant le Festival de Salzbourg l'année suivante, les Lieder eines fahrenden Gesellen de Mahler. Interprétation extraordinaire qui lança la carrière internationale du jeune homme. Furtwängler le fera ensuite chanter dans le Requiem de Brahms en 1951, Tristan et Isolde de Wagner en 1952 et la Passion selon saint Matthieu de Bach en 1954.

Le jeune baryton fut profondément marqué par la personnalité du mythique chef d'orchestre. Bien plus tard, il parlera ainsi de Furtwängler : « Il a dit une fois que la chose la plus importante pour un artiste de scène était de constituer avec le public une communauté d'amour pour la musique, de créer un sentiment commun entre des venues de tellement d'endroits différents et avec des sentiments aussi divers. En tant qu'interprète, j'ai vécu toute ma vie avec cet idéal »

De Telemann à Verdi, jusqu'à la musique contemporaine de Messiaen, Fischer-Dieskau ose tout. Il fut par ailleurs le premier chanteur allemand à se produire en Israël accompagné de Daniel Barenboim, à Tel Aviv et fut heureux, en 1971, de montrer que la culture germanique ne correspondait pas à l'image qu'avait voulu en donner le régime nazi…

Maîtrisant plus de 1500 lieder signés notamment Brahms, Schubert, Schumann, Wolf ou bien encore Mahler, Dietrich Fischer-Dieskau a chanté autant d'œuvres sous la direction des plus grandes baguettes de son temps : Furtwängler, Fricsay, Karajan, Klemperer, Jochum, Solti, Szell, Kubelik, etc.

Au piano, il fut accompagné là aussi par des maîtres nommés notamment Wolfgang Sawallisch (qui l'a ensuite dirigé), Sviatoslav Richter, Alfred Brendel, Murray Perahia ou bien encore Herta Klust. La plus longue collaboration fut celle du britannique Gerald Moore.

L'histoire de la musique enregistrée du XXe siècle retiendra son apport encyclopédique en matière de lied. Il enregistra pour Deutsche Grammophon en 1968 l'intégrale des 600 lieder de Schubert. Puis ceux de Wolf, Schumann, Brahms et Liszt. Passions de Bach, grands airs de concert de Mozart, créations d'oratorios du XXe siècle comme ceux de Britten pour lequel il donna la première fameuse de son War Requiem, le choix est immense dans cette vie au disque elle aussi impressionnante. Dietrich Fischer-Dieskau restera également un interprète masculin de référence du répertoire mahlérien.

Ce cerveau musical dirigeait à 80 ans passés des œuvres de Tchaïkovski, Wolf, Mahler, Wagner... Épris de peinture qu'il pratiquait et exposait, il a écrit plusieurs essais de réflexion musicologique sur Wagner, Nietzsche, Schumann, Schubert… et enseignait évidemment l'art du lied à travers le monde. Professeur d'interprétation musicale à la Hochschule der Künste de Berlin à partir de 1983, il mit fin à sa carrière de chanteur en décembre 1992, pour se consacrer à la direction d'orchestre et à la peinture.

Écoutez notre playlist Dietrich Fischer-Dieskau

Le portrait de Dietrich Fiescher-Dieskau par André Tubeuf

Fischer-Dieskau, l'humaniste baryton par André Tubeuf

Ecouter aussi