Les amateurs de ce pianiste mythique seront comblés ; plus de trente et une heures de piano sous les doigts de ce géant qui a fasciné des générations de mélomanes et de pianistes. Une somme dont nous sommes redevables à SONY et que vous pouvez désormais écouter et télécharger à satiété sur votre Qobuz. Ce n'est pas qu'une énième version des enregistrements bien connus de Vladimir Horowitz, mais tout ce que le pianiste-démiurge a enregistré dans ce véritable temple de la musique qu'est le Carnegie Hall de New York. Des enregistrements en public donc, dont la majorité ont déjà fait l'objet de publications, mais tout l'intérêt de cette somptueuse publication réside dans le condensé qu'elle offre et dans les très nombreux inédits qui la parsèment.

Vladimir Horowitz donne son premier concert dans la salle newyorkaise en 1928 sous la direction de Sir Thomas Beecham. A cette époque, les micros ne sont pas là, mais c'est le début d'une légende, car la salle et le pianiste vont être étroitement liés jusqu'à son ultime apparition en 1986, à l'âge vénérable de 83 ans.

Ce coffret contient les vingt et un concerts donnés par le virtuose ainsi que de nombreux enregistrements faisant partie de sa collection privée qu'il léga à l'université de Yale. La sacralisation de Vladimir Horowitz fait partie intégrante du mythe américain et de ses héros, le Carnegie Hall servant de caisse de résonance des divers moments de l'histoire du XXème siècle en un temps où la musique classique faisait encore partie de toute culture de base. L'album s'ouvre d'ailleurs sur le point culminant de cette épopée musicale ; le Concerto pour piano no 1 de Piotr Ilitch Tchaïkovski enregistré lors de ce fameux concert du 25 avril 1943 sous la direction d'Arturo Toscanini, le propre beau-père du pianiste : une soirée patriotique pour soutenir l'effort de guerre qui rapporta onze millions de dollars (une fortune considérable) grâce à la présence magnétique de ces deux monstres sacrés. Le public est proche du délire (nous aussi !) et l'interprétation chauffée à blanc. On oublie la rengaine cent fois entendue pour s'investir complètement auprès de ces fabuleux fantômes à jamais vivants par la magie de l'enregistrement.

Mais ce Concerto de Tchaïkovski sera encore plus incandescent lors du concert donné en 1953 à l'occasion des 25 ans de présence d'Horowitz à Carnegie Hall. Mieux enregistré, Horowitz est ici au sommet de sa forme technique. Le Steinway a des basses "bombastiques" et George Szell est un accompagnateur qui fait corps avec son soliste, épousant ses moindres intentions. Un très grand moment de jouissance pianistique.

Parmi les moments rares, il y aussi cette électrisante version du Troisième Concerto de Rachmaninov de 1978, sous la direction de Eugen Ormandy qui fête le jubilé d'Horowitz dans la vénérable salle. Parmi les inédits, on trouvera des pages de Brahms (Rhapsodie op. 119) sur un piano passablement désaccordé et des Debussy (Little Sheperd) qui nous font regretter le peu d'incursion de l'interprète dans un domaine qui semble si bien lui convenir. Il y aussi de nombreuses oeuvres de son répertoire découvertes ici dans des prises peu connues, voire inédites (Sonate no 2 de Chopin). Le "Concert du siècle" donné en 1976 pour les 85 ans du Carnegie Hall et destiné à soutenir sa conservation est bien sûr présent. Il vaut son pesant d'or puisque Horowitz y accompagne Dietrich Fischer-Dieskau et qu'il joue avec Isaac Stern et Mstislav Rostropovitch.

Le reste est à découvrir comme des moments rares à goûter avec plaisir, mais aussi avec discernement, car tout n'est bien sûr pas au même niveau dans un choix d'une telle ampleur et l'inspiration n'est pas toujours également au rendez-vous.

Mais tel quel, cet album dresse l'autoportrait vertigineux d'un artiste excentrique et génial dont on pourra encore discuter longtemps la véritable valeur et le goût musical. Si on ne peut pas juger du jeu de Liszt et seulement un peu de celui de Rachmaninov, nous voilà parfaitement documentés sur l'art d'Horowitz de ses débuts à sa fin. Une aubaine qui nous le rendra toujours actuel.

Qobuz Classique : François Hudry 26/11/2013 par qobuz.com