Les légendes ne meurent jamais. Le directeur artistique de Decca, John Culshaw, a bien conscience d'en construire une lorsqu'en 1958 il parie sur Georg Solti, armé de l'élite des chanteurs wagnériens des années 50 et 60. Alliant prouesses techniques à un style inimitable ayant formé sans partage, quoi qu'on en pense, plusieurs générations de wagnériens, ce Ring — le tout premier enregistré en studio et en stéréo — n'a aujourd'hui pas pris une ride, encore moins en qualité HD 24 bits issue du remastering numérique de 1997 qui le rend plus que jamais un indispensable !

L’Anneau du Nibelung a longtemps attendu son enregistrement. Ses dimensions colossales (14h37 ici !) autant que l’exigence de ses moyens musicaux ont longtemps éloigné le chef-d’œuvre de Richard Wagner des studios d’enregistrement. Il y aura eu, certes, d’ambitieux projets, comme le vrai faux enregistrement studio de Wilhelm Furtwängler avec l’Orchestre de la RAI, l’une des premières captations stéréophoniques live de l’histoire (Keilberth 1955), des enregistrements studios inachevés (Furtwängler / WPO, Bruno Walter)… Pour un véritable enregistrement studio et intégral, il faudra cependant attendre 1958 pour que Decca prenne le risque de porter le projet si colossal et encore incertain. Ainsi naquit d'abord L’Or du Rhin sous la direction de l’étoile montante des estrades d’alors : le chef hongrois Georg Solti menant un Orchestre Philharmonique de Vienne idéal retrouvant son meilleur niveau d'après-guerre.

Le Ring de Solti (Retrouvez-le sur Qobuz) c’est, bien sûr, une histoire technique. Conçu comme une véritable démonstration du savoir-faire et des innovations de Decca, c’est sans doute cet enregistrement qui dès 1958 va assoir définitivement la technique stéréophonique puis la porter au pinacle avec La Walkyrie de 1965.

Mais au-delà des seuls micros, c’est aussi tout un art du studio qui est créé : dynamique étendue, effets sonores à profusion, rigueur et détails de tout instant. On ne résiste pas à citer les propos rétrospectifs de John Culshaw à propos de l’enregistrement de L'Or du Rhin : « Et quand nous entreprîmes d’enregistrer L’Or du Rhin, nous aussi, je le crains, nous transgressâmes un grand nombre de lois régnant depuis longtemps dans le monde de l’enregistrement phonographique professionnel. Nous étions tous à tel point sous l’envoûtement de l’œuvre elle-même que, sans jamais tout à fait nous rendre compte de ce que nous faisions, nous fîmes quelque chose que bien des critiques allaient saluer comme une conception toute nouvelle de l’enregistrement lyrique. »

Mais justement, cette façon tout aussi spectaculaire que "scientifique" d’enregistrer la musique n’est-elle pas quelque peu artificielle, brillante ? Depuis, bien d’autres grandes lectures nous sont apparues : la subtilité hédoniste d’Herbert von Karajan ou de feu et de théâtre de Karl Böhm ; les réalisations modernes de Marek Janowski, Daniel Barenboim, Hartmut Haenchen, Valery Gergiev et tant d’autres ne feront qu’enrichir une discographie ô combien passionnante.

Et pourtant, telle une boussole, on en revient toujours à Solti. Animé d’une énergie inimitable, il réalise un équilibre confondant. Aidé, il est vrai, par une équipe vocale mythique sans équivalent, regroupant juste à temps les gloires du "Nouveau Bayreuth" et leurs jeunes successeurs, parfois dans des rôles secondaires ! Sans aller jusqu’à tous les citer, nommons tout de même : Dietrich Fischer-Dieskau, Hans Hotter, George London, James King, Régine Crespin, Birgit Nilsson, Gottlob Frick, Christa Ludwig, Wolfgang Windgassen, Gerhard Stolze, Joan Sutherland, Grace Hoffman, Paul Kuen, Set Svanholm […]

De gauche à droite : Pitz, Dieskau, Culshaw, Solti, Nilsson, Windgassen, Flick (© Decca)

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