Figure majeure de la musique du XXe siècle et auteur d’une superbe œuvre restreinte, essentiellement orchestrale, le compositeur Henri Dutilleux s’est éteint à l’âge de 97 ans.

Henri Dutilleux est décédé le 22 mai 2013, à Paris, à l’âge de 97 ans. Il était le plus classique des modernes (à moins que ce ne fusse l’inverse…), doyen des compositeurs français de musique savante, unique car difficile à rattacher à une seule école (et loin de ne s’inscrire QUE dans les pas de Debussy, Ravel et Roussel) et encore actif ces dernières années. Dutilleux a construit une œuvre éminemment personnelle et qui, chose rare finalement, était copieusement jouée aux quatre coins du monde. Une œuvre assez restreinte pour quelqu’un ayant passé 97 années sur terre. Une œuvre se nourrissant d’autres œuvres. « Je ressens souvent de grandes émotions lorsque je lis ou que j’étudie une œuvre d’art, et cette émotion m’exalte. Une fois ces émotions passées, je crée ma propre œuvre. Et parfois même, de nombreuses années plus tard. Le résultat pourra paraitre abstrait mais les traces de ces émotions seront bien présentes. »

C’est à Angers qu’Henri Dutilleux voit le jour, le 22 janvier 1916, dans une famille d’imprimeurs où la musique comme la peinture sont très appréciées (sa mère maîtrise le piano, son arrière-grand-père fréquentait Delacroix et Corot, son grand-père maternel, Fauré et Roussel). Le jeune homme entre en 1933 au Conservatoire de Paris, où il suit les cours de contrepoint et fugue de Noël Gallon, de direction d'orchestre aux côtés de Philippe Gaubert, de composition avec Henri Busser et d’histoire de la musique avec Maurice Emmanuel. Il en sort avec un premier prix d'harmonie, de contrepoint et de fugue, puis obtient le Grand Prix de Rome en 1938 avec sa cantate L’Anneau du Roi.

A cette époque, Dutilleux se plonge dans le traité de composition de Vincent d’Indy, découvre la musique de Bartók et Stravinsky ainsi que le sérialisme, mais restera toujours en marge de toutes ces esthétiques. Sa renommée est internationale aussi bien en tant que compositeur qu’en tant qu’enseignant. Alfred Cortot le fait nommer professeur de composition en 1961 à l’Ecole Normale Supérieure, puis il enseignera au Conservatoire supérieur de Paris de 1970 à 1984. Parallèlement à cette intense activité de pédagogue, il est invité aux quatre coins du monde comme conférencier.

Les premières œuvres d’Henri Dutilleux sont créées pendant la guerre, période durant laquelle il est chef de chœur à l'Opéra de Paris puis responsable du service des illustrations musicale au service de la radiodiffusion française : Quatre mélodies pour chant et piano en 1943, Geôle pour voix et orchestre en 1944. Roger Désormière et l'Orchestre National créent sa Symphonie n°1 en 1951 et la compagnie Roland Petit, le ballet Le Loup, deux ans plus tard. Dutilleux sera aussi l’auteur de quelques partitions pour le théâtre et le cinéma.

En 1959, Charles Münch créé sa Symphonie n°2 à Boston. Six ans plus tard, c’est George Szell à la tête de l'Orchestre de Cleveland qui donne la première des Métaboles, une de ses œuvres les plus fréquemment jouées. Son quatuor à cordes de 1977, Ainsi la nuit, rencontre un succès exceptionnel.

Henri Dutilleux écrit également des œuvres pour sa femme, la pianiste Geneviève Joy épousée en 1946 et disparue en 2009, ainsi que pour de nombreux autres grands solistes : le concerto pour violoncelle et orchestre Tout un monde lointain lui est commandé par Rostropovitch en 1970, autre grand classique du compositeur. En 1985, il destine L'Arbre des songes au violoniste Isaac Stern.

Dans son catalogue de taille modeste, Dutilleux s’attaque malgré tout à la musique de chambre ainsi qu’à la voix. En 2002, il compose Sur le même accord pour la violoniste Anne-Sophie Mutter, Correspondances, l’année suivante, cycle de cinq mélodies dédié à la soprano Dawn Upshaw sur des textes de Prithwindra Mukherjee, Soljenitsyne, Rilke et Vincent van Gogh. En 2005, il est le troisième compositeur français – après Messiaen en 1975 et Boulez en 1979 – à recevoir le prestigieux Prix Ernst von Siemens, sorte de Nobel de musique.

Commande conjointe de l'Orchestre symphonique de Boston, de l'Orchestre National de France et du Festival Saito Kinen, Le Temps l'horloge pour voix et orchestre, dédié à la soprano américaine Renée Fleming sur des textes de Jean Tardieu et Robert Desnos est créé en septembre 2007 par l'Orchestre International Saito Kinen sous la baguette de Seiji Ozawa. La création complète avec interlude orchestral et Enivrez-vous sur un poème de Baudelaire, a lieu en mai 2009 par Fleming et Ozawa à Paris. Datant de 2003, son cycle de mélodies Correspondances était parue pour la première fois au disque en janvier dernier avec l'Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Esa-Pekka Salonen avec, dans un français impeccable, Barbara Hannigan (qui chanta d’ailleurs l'œuvre en création parisienne).

Rencontre (atypique) avec Henri Dutilleux (janvier 2007)