Les 25 et 26 mars, le claveciniste et pianofortiste Andreas Staier interprètera des extraits du Clavier bien tempéré de Bach ainsi que des œuvres de compositeurs moins connus.

Andreas Staier est un des compositeurs et claviéristes les plus libres et les plus imaginatifs d’aujourd’hui. Cette année, c’est un programme tout aussi libre et imaginatif que concocte le virtuose allemand : Bach au clavier dans tous ses styles, avec les modèles, élèves et sources d’inspiration qui furent les siens, et dont il sut faire la magistrale synthèse.

Place donc au Stylus Phantasticus, où liberté, caractère improvisé et fantaisie priment sur les rigueurs de la forme, avec Georg Böhm qui en fut un maître : place à la manière italienne de Vivaldi, dont Bach recopia et transcrivit les œuvres : place au Style Français, que Bach put découvrir et dont il put s’imprégner lors de son séjour à Celles où régnait une cour qui n’avait d’yeux que pour Versailles, avec François Couperin ; place à la galanterie cultivée par le fils aîné, Wilhelm Friedemann, mais qui n’était pas non plus étrangère au père ; place enfin au fantastique et mélancolique Froberger, dont Bach, à dix ans, recopiait à la clarté de la lune les œuvres qu’il avait volées dans le placard de son frère aîné. Froberger qui songe aux vanités du monde face à la mort, et cette mort, Bach, orphelin à 10 ans, la connaît bien et lui fait souvent place dans son œuvre au détour d’une fugue.

Et pour illustrer la maîtrise de Jean Sébastien dans tous ces styles, Andreas Staier ne pioche pas dans les 1120 et quelques numéros du catalogue BWV, mais dans une seule œuvre : les deux livres du Clavier bien tempéré, qui ne sont pas seulement des préludes et fugues dans tous les tons et demi-tons des gammes majeures et mineures, mais aussi un bréviaire de l’art de composer dans tous les styles, et dont Andreas Staier poursuit ainsi une forme d’intégrale en kit. Pour pénétrer les arcanes de ces styles divers, contradictoires et pourtant tous constitutifs au plus haut point du génie de Bach, Staier prend la parole, dans un français aussi raffiné et précis que l’est son toucher, et nous livre l’exégèse passionnante et avertie de ces pièces qu’il arpente pour nous en éclaireur.

1/ Comment avez-vous conçu le programme de ces deux concerts à Dijon les 25 et 26 mars autour du Clavier bien tempéré ?

Le Clavier bien tempéré n’est pas un cycle, Bach n’aurait jamais pensé que l’on doive jouer chaque volume en entier. C’est une collection. Comme il s’agit d’une polyphonie très dense, il est impossible pour le claveciniste et pour le public de rester concentré pendant plus de deux heures. Il y a d’ailleurs juste des préludes et fugues, et très peu de variations, pour la même raison, ce n’est pas pensé comme un cycle.

Le deuxième aspect, c’est que le Clavier bien tempéré est une espèce de miroir de beaucoup de traditions de composition, de polyphonies et de toute sorte de choses, c’est un miroir du passé. En même temps, c’est aussi l’œuvre la plus influente au XIXe siècle. Elle reflète beaucoup de traditions nationales, de techniques polyphoniques. Les autres pièces, qui ne font pas partie du Clavier bien tempéré, les pièces des autres compositeurs, sont des correspondances, des allusions que Bach fait à la musique ancienne. Elles ont une portée nationale et montrent les influences française, italienne ; elles comprennent certaines techniques polyphoniques ou certains stéréotypes de thèmes polyphoniques, comme le chromatisme par exemple, d’où le choix de la Fantaisie chromatique de Sweelinck, qui utilise le même thème que Bach (thème qui n’a d’ailleurs pas été composé par Sweelinck mais qui existait déjà). Ce qui comptait à l’époque, ce n’était pas l’inspiration d’un thème mais son élaboration. J’ai fait une comparaison entre François Couperin et Bach et une autre entre Antonio Vivaldi et Bach ; c’est cela qui m’a guidé. On pourrait continuer comme ça à l’infini. Il y a une telle richesse d’allusions et de réflexion sur des traditions et sur toutes sortes de choses dans le Clavier bien tempéré que j’aurais aussi pu faire cinq soirées ou dix, mais nous nous sommes limités à deux.

2/ Quels sont les avantages et les particularités d'une résidence comme celle que vous offre l'Opéra de Dijon ?

Il s’agit d’un organisateur de concert presque idéal pour moi, car il est tellement curieux et flexible qu’il me laisse proposer mes idées, nous avons des discussions très profondes musicalement, nous développons des projets ensemble, donc pour moi c’est un peu une recherche et un laboratoire à la fois. C’est comme cela qu’une résidence devrait être : un endroit où l’on cherche ensemble. Je suis donc très reconnaissant à Laurent Joyeux de l’Opéra de Dijon.

3/ Le clavecin, le pianoforte et même le piano : passez-vous de l'un à l'autre de ces instruments avec la même aisance ? Est-ce que le passage de l’un à l’autre a changé au fil des années ?

Malheureusement, avec l’âge, ça devient plus difficile… C’est toujours quelque chose qui prend du temps car il faut adapter les doigts, mais aussi les oreilles, et tout l’organisme musical, donc on développe une certaine routine, mais c’est toujours quelque chose que l’on doit aller chercher à nouveau. Il faut aller chercher la sonorité spécifique de chaque instrument. Je ne le fais pas juste comme ça, ça nécessite de la concentration, une écoute très concentrée.

4/ Dans une vieille interview, vous disiez que certains répertoires doivent grandir et mûrir en vous avant de pouvoir être joué ou enregistré. Vous faisiez référence à Couperin et d'Anglebert que vous pensiez ne pas être fait pour vous. Quels sont les composteurs et les répertoires pour lesquels vous vous êtes trouvés une récente attirance alors que ça n'était pas le cas autrefois ?

Le Clavier bien tempéré, par exemple. Ça ne fait pas très longtemps que je travaille dessus, que j’ai l’idée de jouer tous les Préludes et Fugues ; ça fait peut-être trois ans que je me suis rapproché de cette œuvre. Il y a eu aussi une période où j’ai joué beaucoup de Schubert, puis je me suis tourné vers Schumann. Parfois c’est le temps qui choisit, ce n’est pas toujours moi ou un organisateur. On ne peut pas tout planifier. En tout cas moi je ne peux pas. Il faut laisser mûrir un certain développement. A un certain moment, on se sent prêt, mais peut-être que pour d’autres œuvres, on ne se sentira jamais prêt. De toute façon on ne pourra jamais jouer tout le répertoire.

5/ Quels sont vos projets dans les mois à venir, au disque et à la scène? Vous sortez un disque avec Lorenzo Coppola des Sonates de Brahms ?

Oui, ça va bientôt sortir. Après une longue période de Schumann, je vais faire deux nouveaux enregistrements de Schubert cette année, un piano à 4 mains avec Alexander Melnikov, on enregistre la semaine prochaine, et les deux Trios pour piano et cordes avec Daniel Sepec et Roel Dieltiens au mois de juin. Cette année, c’est à nouveau une Schubertiade. J’ai aussi beaucoup d’idées qui traînent mais je ne vais pas vous les dire… Il y a un autre enregistrement déjà enregistré en été 2013 et qui va sortir cet été, ce sont les sept Concertos pour clavecin et orchestre de Bach avec l’orchestre de Fribourg.

Site de l'Opéra de Dijon

Billetterie 25 mars 2015

Billetterie 26 mars 2015

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