Pour son avant-dernière apparition à la tête des Berlinois, Harnoncourt avait visé, comme si souvent, dans la rareté ; en l'occurrence le "dramma eroicomico" Orlando paladino de Haydn, un chef-d'œuvre de 1782 auquel il offre toute sa fougue et sa passion. A déguster dans les Archives de la Salle de concerts numérique du Philharmonique de Berlin !

Tant que le Philharmonique de Berlin est en résidence de Pâques à Baden-Baden, la Salle de concerts numérique ne transmet pas de concerts en direct : excellente raison pour aller faire un tour dans les invraisemblables archives de ladite Salle de concerts, plus de quatre cents concerts dont tout le répertoire de l'orchestre depuis 2009, ainsi que nombre de concerts de l'époque Karajan et Abbado. Mais en mémoire de Nikolaus Harnoncourt récemment disparu, nous vous parlerons ici de son avant-dernier concert à la tête des Berlinois, un programme aussi rare que fascinant : le "drame héroïco-comique" Orlando paladino de Haydn, donné le 22 mars 2009.

Haydn composa son Orlando paladino ("Le chevalier Roland") en prévision de la visite à Eszterháza du Grand-Duc Paul Pétrovitch (plus tard tsar Paul I) qui, avec son épouse Sophie-Dorothée de Wurtemberg-Montbéliard - qui deviendrait Maria Fédorovna en épousant Paul et en embrassant la foi orthodoxe - voyagèrent à travers l'Europe dans les années 80, et dont la route devait passer par Eszterháza en octobre 1782 de retour d'Italie. Bien sûr, "Nicolas le Magnifique", à savoir Nicolas I Joseph Eszterházy voulut faire dans le grandiose, de sorte que les préparatifs commencèrent des mois à l'avance. De telles festivités se devaient de durer plusieurs jours, pendant lesquels l'on présenterait entre autres un opéra écrit par le Kapellmeister de la cour - Joseph Haydn, déjà célèbre à travers l'Europe, et qui se mit au travail avec ardeur. Diantre, le Grand-Duc, peut-être même l'empereur en personne, il fallait les chouchouter. Hélas, la visite tomba à l'eau, de sorte que la création d'Orlando paladino fut reportée au jour de la Saint-Nicolas, le 6 décembre 1782. L'œuvre finit par se frayer un chemin jusqu'à la cour russe, en 1813, mais Paul I n'était déjà plus qu'un souvenir, puisqu'il avait été assassiné en 1801 par une cabale de conspirateurs qui placèrent son fils Alexandre I sur le trône impérial.

L'ouvrage porte le nom inhabituel de "dramma eroicomico", "drame héroïcomique" et, en effet, Haydn y mêle - le livret est heureusement d'une excellente facture - aspects comiques désopilants autant que drame profond, un peu comme dans Don Giovanni de Mozart. Selon toute évidence, la troupe de la cour disposait d'excellents musiciens et de chanteurs de haut vol, à en juger par l'étonnante virtuosité exigée des uns et des autres. En parlant de Don Giovanni - mais l'on pourrait aussi citer Cosi et les Noces -, on est légitimement en droit de se demander si Mozart eut l'occasion de jeter un coup d'œil à la partition de Haydn avant de se lancer dans l'écriture de ces trois opéras, plusieurs années après la création d'Orlando. Les très, très nombreux parallèles musicaux sont rien moins que très, très troublants, et quelques esprits facétieux pourraient même estimer que l'un des dessins mélodiques de l'air "Senti et trema" de Haydn ressemble à s'y méprendre à un autre dans le premier mouvement de la 41e symphonie de Mozart... de 1788. Quant à l'air "Ho viaggiato in Francia, in Spagna", comment n'y pas voir comme un très féroce air de ressemblance avec l'air du catalogue... Allez savoir : les grands esprits se rencontrent parfois sans s'en rendre compte ! Mais au moins, l'on peut en juger que Haydn a mis dans sa partition le meilleur de lui-même ; il est donc plus que dommage que l'ouvrage ne jouisse pas de la grande célébrité qu'il mériterait.

Le 22 mars 2009, un autre Nicolas, Harnoncourt en l'occurrence, dirigeait le Philharmonique de Berlin dans ce chef-d'œuvre. N'hésitez pas à regarder cette magnifique vidéo dorénavant conservée dans les richissimes archives de la Salle de concerts numériques, en attendant le prochain direct des Berlinois, rien moins que Tristan et Isolde le 3 avril.

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